L'exode belge, 1914
Mots-clés :
Belgique, exode, Allemagne, Albert 1 er, atrocités, Poor Little Belgium, Liège, Dinant, Louis Raemaekers, Poilus, Grande Guerre,
Lire les articles :
Les atrocités allemandes en France et en Belgique
Saint-Adresse (76), capitale de la Belgique
La petite Belgique face à la grande Allemagne
Le sac de Louvain, 1914
Invasion allemande, Août 1914
Carte postale allemande représentant l’Empereur,
« Devant Dieu et devant l’Histoire, j’ai la conscience tranquille :
je n’ai pas voulu la guerre »
L'exode des populations
En 1914, près d’un million et demi de Belges quittent le pays pour échapper à l’invasion allemande.
En 1914, la neutralité des Pays-Bas fait de ce pays le refuge principal vers lequel les
populations belges se dirigent. À la mi-octobre 1914, près d’un million de Belges vont se masser derrière la frontière hollandaise. De plus, la Grande-Bretagne se voit contrainte d’ouvrir largement ses frontières aux ressortissants du pays au nom duquel elle est entrée en guerre. Personne alors ne comprendrait qu’elle se refuse à accueillir les dignes représentants de la Poor Little Belgium.
Dès avant le départ du gouvernement vers Le Havre, les autorités britanniques prennent toute leur part dans l’évacuation de plusieurs milliers de réfugiés belges vers les côtes anglaises.
L’exode de 1914 accouche d’une diaspora forte de centaines de milliers de Belges répartis dans trois pays : France, Grande-Bretagne, Pays-Bas.
Des réfugiés de la région de Louvain prennent avec armes et bagages la direction de Bruxelles, août 1914.
(Photo tirée de The Illustrated War News, 26.8.1914, p. 34)
Dans un premier temps, peu de civils perçoivent l’ampleur du danger que la guerre représente pour eux. L’attitude de nombreux Liégeois atteste de cette sorte d’inconscience. À l’annonce de l’arrivée de l’avant-garde allemande sur les hauteurs de Liège, beaucoup se précipitent pour assister aux premiers engagements.
Il faut la chute des obus sur la cité, le vacarme énorme provoqué par le souffle des explosions et le spectacle des destructions qu’ils occasionnent pour faire prendre conscience de ce qu’est la guerre moderne et des menaces qu’elle fait peser sur les populations.
Avant de devenir ce vaste mouvement de foules mues par une sorte de peur largement
irrationnelle, l’exode est d’abord le fait de populations tentant d’échapper aux atteintes les plus directes de la guerre et à son lot de morts et de destructions.
Les bombardements et les incendies, les engagements militaires, les fusillades frappent profondément les esprits et provoquent la panique partout où ils sévissent. Le désir de se mettre à l’abri, la crainte de se trouver pris sous les bombes ou sous le feu des fusils suffit à justifier bien des départs. Le vacarme assourdissant des armes met en branle un instinct de conservation au vu duquel la fuite semble représenter une des seules chances de salut.
À partir du 20 août 1914 et jusqu’à la fin de la guerre de mouvement, l’avance allemande
est systématiquement précédée par un flot immense de civils en fuite. Les combats qui
mettent aux prises les troupes alliées et allemandes entre Mons et Namur, fin août, sonnent les débuts de l’exode massif.
L’âpreté des combats, la peur de plus en plus forte suscitée par les atrocités allemandes et le vaste mouvement de retraite engagé par les troupes alliées jettent sur les routes des milliers de réfugiés qui prennent la direction de la France en semant la panique tout au long de leurs pérégrinations.
Dirigés par les autorités françaises vers Paris, la Normandie et la Bretagne, ils forment les avant-postes d’un exode qui frappe rapidement tout le nord de la France.
Les atrocités allemandes commises à Aerschot ou à Louvain et les bombardements massifs que subissent des villes comme Malines ou Lierre drainent vers Anvers un flot croissant de fugitifs.
Grâce notamment à l’aide du gouvernement britannique, les autorités belges réussissent à évacuer 50.000 d’entre eux durant les semaines qui précèdent la chute de la ville mais elles se trouvent impuissantes à mettre un terme aux flots immenses de réfugiés qui fuient la ville pour échapper au bombardement allemand annoncé le 7 octobre 1914.
Plusieurs jours durant, toute la région anversoise déverse sur la Hollande des centaines de milliers de réfugiés apeurés.
Après être venues à bout des forts anversois, les troupes allemandes se dirigent vers la côte. En quelques jours, les principales villes des deux Flandres tombent aux mains des Allemands.
Gand est occupée le 12 octobre, Bruges le 14 et Ostende le 15. Dans chacune de ces villes, l’arrivée de l’ennemi est précédée de départs massifs de populations. Plusieurs milliers de Gantois et de Brugeois prennent la direction de la côte, mais c’est à Ostende que la situation devient rapidement la plus dramatique.
Le départ du gouvernement et l’annonce de l’arrivée imminente de l’ennemi amènent la peur à son paroxysme. Les dernières malles parties, toutes les embarcations sont prises d’assaut dans une indescriptible cohue. En l’espace de quelques semaines, les côtes anglaises voient débarquer près de 200.000 réfugiés que les autorités britanniques s’emploient à répartir dans tout le pays.
En signant la fin de la guerre de mouvement en Belgique, la retraite de l’armée belge derrière l’Yser met un terme à l’exode massif des populations.
Plus d’un million et demi de Belges ont alors fui le pays.
Un soldat néerlandais monte la garde auprès de réfugiés belges qui par crainte de l’armée allemande, se sont enfuis aux Pays-Bas.
Des militaires belges ont été internés par les Pays-Bas neutres.
Pour passer le temps, certains jouent aux quilles, comme ici au camp d’internement d’Hardewijk. (Photo Service d’Archives d’Amersfoort)
Le gouvernement belge en exil à St Adresse, près du Havre en Normandie
En août 1914, l’Allemagne lance son offensive à l’ouest selon un plan établi dix ans plus tôt et qui consiste à attaquer le Nord de la France en violant la neutralité belge. Le Royaume n’a pas les moyens de résister et se retrouve occupé, hormis une bande côtière dans le secteur d’Ypres.
Pour continuer à exister, le gouvernement belge s’exile. La France lui propose de l’accueillir : Sainte-Adresse est choisie en raison de la vacance de villas et d’immeubles récemment construits par l’homme d’affaires Georges Dufayel. À partir d’octobre 1914 et pour quatre ans, l’État belge s’installe sur les rives de la Manche.
Les deux paquebots qui emmènent le gouvernement au Havre le 13 octobre 1914 comptent un peu plus de 1.500 personnes : les membres du gouvernement et du corps diplomatique ainsi que des hauts fonctionnaires et leurs familles.
Le nouveau quartier construit par Georges Dufayel à Sainte-Adresse permet d’offrir l’hospitalité au gouvernement belge et à l’ensemble de ses administrations.
En huit jours le Nice Havrais devient Bruxelles-sur-Mer.
Les immeubles mis à la disposition du gouvernement belge
2 – Immeuble Dufayel :
Hormis ceux de la Guerre et des Affaires Etrangères, c’est dans cet immeuble de la place Frédéric-Sauvage que les ministres d’État et la plus grande partie des bureaux des différents ministères furent installés, sous le contrôle du préfet Hennion, diligenté à cette occasion par le gouvernement français.
Sainte-Adresse, capitale de la Belgique pendant la guerre, ne sera jamais « territoire belge ».
En revanche les bâtiments et les personnes y travaillant bénéficieront du privilège d’exterritorialité.
6 – La villa Louis XIII :
La villa Louis XIII, également surnommée villa Roxane, construite en 1908, fut mise gracieusement par Georges Dufayel à la disposition du Président du Conseil Belge, Charles de Broqueville, pour y établir sa résidence.
Ce dernier qui exerçait également les fonctions de ministre de la Guerre, vint très souvent à Sainte-Adresse.
La villa fut rasée lors du dernier conflit mondial.
8 – Le Palais du Commerce :
Situé au sein du Palais du Commerce, l’Hôtel des Régates fut le lieu d’hébergement des ministres plénipotentiaires accrédités auprès du gouvernement belge et des attachés militaires des autres nations alliées et amies de la Belgique.
Immeuble détruit en 1944.
Lire le document :
L'invasion allemande
Journal Officiel, 8 août 1914
Déclaration du Général Von Emmich
Otto von Emmich
C’est ainsi que des villes et des villages sont détruits totalement ou en partie (Visé est complètement rasée le 15 août 1914 et Louvain mise à sac et incendiée le 26 août 1914). De nombreux civils sont fusillés, sans compter les multiples destructions et spoliations de
biens personnels.
Les atrocités commises par les Allemands
La Belgique, va connaître les tranchées, les massacres, les déportations de civils et les destructions lors de l’invasion, la misère, les réquisitions et les pillages. Ces événements, comme l’ultimatum allemand (2 août 1914) et la violation de la neutralité (4 août 1914), vont susciter l’indignation populaire et être utilisés par la propagande belge.
Mais la particularité du « cas » belge réside principalement dans le fait qu’il est très vite et très largement récupéré, instrumentalisé par les propagandes alliées afin d’appuyer leurs propres intérêts. Ainsi naît l’image de la « Poor Little Belgium » (surtout exploitée au Royaume-Uni et aux États-Unis), ce statut de Belgique martyre dans lequel les autorités belges se retrouvent rapidement enfermées.
Dès 1916, on assiste alors à la mise en place d’une propagande parallèle qui tente de lutter contre cette image de victime, dont l’élaboration avait pour le moins échappé aux autorités. L’accent est dès lors mis sur la bravoure du peuple, de l’armée et sur la figure emblématique du Roi.
Cependant, malgré ces efforts, la Belgique ne réussit pas vraiment à briser cette image de « pauvre petite Belgique », dépendant de l’assistance de ses alliés.
Caricature largement diffusée de Bernard Partridge montrant un roi Albert inflexible face à l'arrogant empereur allemand.
(La Belgique et l'Allemagne. Textes et documents précédés d'un avertissement au lecteur par Henri Davignon, Paris, Hachette et Cie, 1915, p. 122)
« Le roi Albert au front de l’armée »
Le roi Albert, modeste, on sait qu’il n’aimait pas ce fameux titre de « Roi-Chevalier ».
Fervent défenseur de la neutralité belge, il se considère comme investi d’une mission non seulement envers son peuple (sauvegarder l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire), mais aussi envers les signataires du Traité de Vienne de 1815 (il s’agit ici de
maintenir l’équilibre européen).
Ainsi, lorsqu’il rejette l’ultimatum allemand, il estime que la Belgique agit comme doit le faire un pays neutre. Un pays neutre qui fait appel à ses garants pour sa défense, mais qui, en aucun cas, en ce qui concerne le Roi, ne les considère comme des alliés : le Royaume-
Uni a sa confiance quand la France ne lui inspire que méfiance.
Jusque fin juillet 1918, il croit peu en une victoire alliée et il s’oppose à l’engagement de l’armée dans les grandes opérations menées par l’Entente. Adoptant une stratégie défensive, il épargne ainsi la vie de ses soldats.
Partisan d’une paix de compromis, il prend secrètement contact avec son beau-frère, un comte allemand, à Berne pour tenter de connaître les intentions allemandes. Dans le même temps, il pousse le Royaume-Uni à négocier la paix.
Ce n’est qu’en septembre 1918, quand la victoire alliée ne fait plus de doute, que le roi accepte finalement de rejoindre le commandement unique interallié. Après en avoir si longtemps douté, il retire ainsi tous les avantages de la victoire.
Toujours, il s’est opposé à l’exploitation des « atrocités allemandes » par la propagande belge. Il pense en effet préférable de ne pas accabler l’Allemagne afin de ne pas mettre en péril des relations futures (notamment économiques).
Finalement, la légende a créé un saint quand la recherche historique a trouvé un homme guidé par ce qu’il considère être l’intérêt de la nation.
Dès les premiers jours du conflit, l’attention internationale se focalise sur la Belgique. En effet, la violation de la neutralité belge par l’Allemagne représente une véritable aubaine pour les Anglais et les Français qui s’emparent de l’événement et se posent en défenseurs du droit et de la parole donnée.
Leur propagande fait endosser aux Allemands le rôle des uniques responsables d’une guerre rapidement et commodément résumée : il s’agit de défendre le droit, la justice face à un ennemi abject, barbare et brutal qui n’hésite pas, à commettre des atrocités et à massacrer des civils.
Ainsi que nous l’avons expliqué précédemment, le thème des « atrocités allemandes » est important pour l’opinion britannique, car il justifie à posteriori l’entrée en guerre du pays et permet d’intensifier la mobilisation de volontaires.
Dès les premiers jours du conflit, la Belgique devient donc l’instrument majeur de la propagande anglaise qui abreuve alors l’opinion publique de ces récits et popularise l’image d’une Belgique martyre, victime de la « barbarie » des troupes allemandes :
la « Poor Little Belgium » est née.
Le dessinateur satirique, Louis Ramaekers a représenté par des dizaines de dessins l'innocence et la vulnérabilité de la Belgique et du Luxembourg, agressés sauvagement par l'armée allemande.
(Dessin tiré de The ‘Land and Water’ edition of Ramaeker's cartoons, Londres, 1916, t. 2, p. 139)
Dessin de Louis Raemaekers
Dessin tiré de The ‘Land and Water’ edition of Ramaeker's cartoons, Londres, 1916,
Dessins de Louis Raemaekers évoquant les massacres de civils.
Dessin de Louis Raemaekers évoquant les pillages.
Dessin de Louis Raemaekers évoquant les exécutions d’otages.
Dessin de Louis Raemaekers évoquant les enfants de Belgique, 1914.
Carte postale,
« Le courage belge résistant au colosse germanique »
Dessin de Georges Scott, 1914
« Leur façon de faire la guerre »
Carte postale française de Pierre Châtillon,
« Laissez venir à moi les petits enfants »
Dinant, 23 août 1914.
Dessin de Louis Raemaekers
Dessin tiré de The ‘Land and Water’ edition of Ramaeker's cartoons, Londres, 1916,
L'armée allemande envahit la ville de Dinant et exécute, au cours de cette sombre journée, 674 civils innocents.
Affiche belge de Josef Nuytens, 1917
« Ne m’oubliez pas. Aidez à sauver les bébés belges »
Exode, dessin de Gerald Spencer Pryse, 1915
Affiche française de Steinlein, 1915
« En Belgique, les Belges ont faim »
Tombola artistique au profit de l'alimentation populaire de Belgique
Lire les documents :
La fuite des populations civiles face l’invasion allemande
La Recherche des disparus, Croix-Rouge française, 28 février 1915