Les pèlerinages dans les régions dévastées de la France organisés par les Compagnies des chemin de fer du Nord et de l'Est
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Reconstruction des régions dévastées
Anne Morgan, bienfaitrice américaine
Les chemins de la mémoire : paysages en guerre
L’objectif des Compagnies du chemin de fer du Nord et de l'Est est clairement édicté sur leurs prospectus-horaires. Elles souhaitent montrer les ravages commis par les Allemands et l’ampleur des offensives victorieuses des Français et des Anglais. Le choix des circuits respecte à la fois les différentes zones de batailles (Somme, Artois, Chemin des Dames, etc.) et la zone d’occupation, mais aussi le maillage des Compagnies, qui, insuffisant pour atteindre certains endroits, s’allient alors au transport routier.
Ces pèlerinages sont donc assurément le seul vrai moyen de montrer au public la désolation profonde des régions dévastées en y pénétrant intimement. C’est aussi un vecteur puissant de propagande pour faire garder le souvenir des crimes de l’ennemi et des souffrances endurées par les Français et les Anglais.
Tourisme de mémoire des champs de bataille
http://www.societe-historique-noyon.fr/bulletins-etudes-noyonnaises/
Article d’Huguette Garnier sur le premier train de pèlerinage du 11 mai 1919,
Excelsior, 12 mai 1919.
Affiches des Compagnies des chemins de fer du Nord et de l'Est
La Compagnie du chemin de fer du Nord met en place dès 1919 des circuits réguliers pour visiter les champs de bataille franco-anglais, à partir de Paris et de certaines villes du Nord. Entre enjeux politiques, économiques, touristiques et historiques, ces circuits appelés « pèlerinages » mettent en lumière la nécessité de contrer la propagande de l’ancien ennemi, niant les destructions, et révèlent la volonté de faire connaître au public un conflit tout proche, ce qui contribue à la naissance du mythe de la Grande Guerre, du Poilu et à la reconnaissance envers les Alliés libérateurs.
La diffusion des prospectus et la vente des billets sont largement appuyées par une importante campagne d’affiches. Plusieurs séries sont demandées à des artistes, souvent de jeunes étudiants des Beaux-Arts qui cèdent leurs droits à la Compagnie, mais aussi des affichistes confirmés, Charles-Jean Hallo, dit ALO (1882-1969), Henri Gray (1858-1924), Julien Lacaze (1886-1971), entre autres. Il s’agit de dessins de paysages urbains ou de champs de bataille dévastés dupliqués dans le service des imprimés des gares du Nord et de l'Est. Ces lithographies ont des coloris simples afin de donner une impression forte de la dévastation et d’attirer l’attention. Ces affiches sont donc bien éloignées de celles d’avant guerre réalisées parfois par les mêmes artistes et qui représentaient des sites, des villes et des paysages très vivants et très colorés. Ces affiches en français ou en anglais sont envoyées régulièrement aux partenaires (SCEMIA et Auto-mails), aux autres compagnies de chemin de fer françaises, belges et anglaises, à l’Église de France, aux grandes banques, aux agences de voyages et ce afin d’être apposées dans leurs locaux respectifs, à Paris comme en province.
Affiche publicitaire de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
« Cambrai, après le départ de l’ennemi »,
ALO (Charles-Jean Hallo), imprimerie Cornille & Serre.
Affiche publicitaire de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
« La fosse de Lens, 1920 », Julien Lacaze.
Parmi toutes les séries, tirées à plus de 30 000 exemplaires en 1920, celle qui semble avoir le plus de succès d’après les nombreuses demandes d’envois est celle de Julien Lacaze représentant les destructions de la fosse de Lens.
Affiche publicitaire de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
« Pèlerinages aux régions dévastées, par trains spéciaux »,
une fosse des mines de Lens.
Monument A la Victoire et aux soldats de Verdun
Construit au centre-ville sur les anciens remparts du castrum romain remis au jour après les bombardements de la bataille de 1916, le monument à la Victoire et aux soldats de Verdun fut inauguré le 23 juin 1929 en présence de Gaston Doumergue (membre fondateur en 1922 de l'Académie des sciences coloniales, devenue Académie des sciences d’outre-mer en 1957), président de la République, Raymond Poincaré, président du Conseil, le maréchal Pétain, Paul Doumer (membre fondateur de l’Académie des sciences coloniales et président de l’année académique 1926-1927), président du Sénat, accompagnés de « 5 Ministres, 10 Ambassadeurs, 42 Drapeaux régimentaires, 5 000 Anciens Combattants, des plus grands Chefs aux simples Soldats, et d’une foule énorme et enthousiaste. On fêtait en même temps la renaissance de la Cité, détruite en 10 mois, rebâtie en 10 ans » (Extrait du texte de la crypte).
L'escalier monumental de 73 marches conduit à une crypte qui abrite les fichiers des 200.000 combattants titulaires de la médaille de Verdun et le premier Livre d’Or.
La tour, haute de 30 mètres, est sommée par la statue d’un guerrier franc, appuyé sur son épée et regardant vers le champ de bataille. Deux canons russes, pris par les Allemands, repris par les Français, encadrent la tour. Architecte : Léon Chesnay, maître d’oeuvre de la reconstruction de Verdun, sculpteur : Jean Boucher (1870-1939), ancien combattant de Verdun, ferronnier d’art : Victor Prouvé (1858-1943), qui réalisa la porte de la crypte.
Porte de la crypte de la Tour réalisée par Victor Prouvé
Affiche publicitaire de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
« Thiepval » paysage dévasté, soldat assis au sol, fusil posé, cimetière,
Henri Gray.
Le soldat américain dessiné par Toussaint se trouve géographiquement à l’est de la Meuse. Il trône donc sur un reste de défense allemande, bel et bien vaincue par l’effort militaire américain et son engagement sur cette partie du front. Le combattant, valide, regarde vers l’ouest, vers sa patrie, mesurant sans doute le chemin parcouru depuis 1917. Même s’il y incarne les combats meurtriers, la tonalité de l’affiche est plutôt apaisée. La cité en contrebas apparaît peu marquée par une guerre qui l’a pourtant vue énormément souffrir ; l’affichiste a préféré insister sur l’aspect pastoral de la représentation traditionnelle de la campagne française, avec ses fleurs, symboles de vie et de bonne santé, qui poussent parmi les décombres.
L’affiche réalisée par Michel Toussaint en 1919 reprend certains codes de l’affiche ferroviaire, comme le soleil couchant, dans des teintes orange pastel travaillées par les nuances dues aux nuages, la hauteur du point de vue, le vaste panorama de collines boisées où sinue la Meuse et les fleurs détaillées au premier plan. Au centre de la composition apparaît l’abbaye bénédictine fondée à Saint-Mihiel en 709, un des attraits touristiques de la ville. Mais dans ce paysage paisible s’inscrit un soldat représenté dans une attitude ambiguë, entre garde et contemplation. Porteur de tout son équipement, il a pris place au bord de la falaise parmi des moellons et des vestiges métalliques qui, comme le pont détruit, évoquent fortement la guerre.
Située au sud de Verdun, la petite ville de Saint-Mihiel, qui a vu en 1918 l’offensive victorieuse contre un saillant du front, connaît ainsi un afflux de visiteurs venus en train – ce qui pousse la Compagnie des chemins de fer de l’Est à commander une affiche spécifique à Michel Toussaint (1882-1974), connu pour son talent à illustrer les sujets tant militaires (napoléoniens, en particulier) que ferroviaires.
Prospectus de la Société anonyme des autocars du Nord pour des visites au front
en autocars à partir de Lille,
Archives nationales du monde du travail,
fonds de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
Affichette pour la réservation au wagon-restaurant lors du trajet entre Arras et Albert, juin 1920.
Prospectus de 6 circuits de pèlerinages de la Compagnie du chemin de fer du Nord,
1919-1920.
Les guides Michelin
Avant même l’issue de la guerre, quelques familles sont parvenues à se rendre sur la tombe d’un proche. Avec l’accord des autorités militaires qui contrôlaient l’accès au front, ces pèlerinages se sont organisés loin du combat lorsqu’un défunt a été inhumé à l’arrière-front. Pour le troisième anniversaire de la première bataille de la Marne en 1917, André Michelin a incité quelques journalistes à faire le pèlerinage de l’Ourcq. De ce pèlerinage est né le premier guide Michelin des champs de bataille. A la fois un guide, un panorama et une histoire, il s’agissait alors de guider les familles et les combattants survivants sur les théâtres des combats. La guerre n’était pas finie, la collection non plus, car pas moins de 29 guides ont suivi. Le succès de cette véritable encyclopédie historique, son très riche contenu (3500 pages, 1000 cartes, 3500 illustrations), ont justifié près de cent ans plus tard la création d’une nouvelle collection.
Les guides et les brochures de visite en français et en anglais pour chaque circuit sont édités et mis en vente à 2 F par la Compagnie des chemins de fer dans les gares, par l’intermédiaire de leur réseau des librairies Hachette mais aussi dans les trains eux mêmes alors que les concurrents les mettent gracieusement à la disposition des voyageurs. Ces guides, véritables instruments de convalescence psychique, aides au travail de deuil à travers des descriptifs militaires, des photographies et des points de vue, sont vendus à plus de 10 000 exemplaires en France et 30 000 en Angleterre.
Liste du nombre d’exemplaires du guide Les champs de bataille
édité par la Compagnie du chemin de fer du Nord
et vendu par les librairies de gare Hachette, 5 avril 1921.
Les deux premiers guides Michelin sont publiés en 1915 et en 1916. Le premier est consacré à l'Allemagne et le deuxième à la Belgique. Ils ont été publiés dans le plus grand secret, ils sont sobres, sans publicité et sans aucune représentation du célèbre Bibendum. Ils établissent la nomenclature des villes par ordre alphabétique, énumèrent les principaux bâtiments publics (écoles, lycées, hôpitaux, casernes) ainsi que les industries. Avec l'édition de ces guides, l'entreprise Michelin espérait une reconquête de la Belgique et une occupation de l'Allemagne mais il faut attendre 1918 pour que cela se produise.
En septembre 1917, pour commémorer la bataille de la Marne, André Michelin convie quelques journalistes, l'office national du Tourisme et le Tourning-Club de France. Cette rencontre débouche sur la publication du guide Michelin : L'Ourcq-Chantilly-Senlis-Meaux. Les guides prennent alors part à la commémoration des combattants.
Le tourisme autour des champs de bataille se met en place après l’armistice, permettant aux familles et aux soldats de se recueillir. Michelin publie alors une collection de 29 titres en français mais édite également des guides pour les Alliés : 20 titres en anglais dont 3 destinés aux Américains, 4 en italien et 1 en allemand. Cette collection représente plus de 3000 pages de textes, près de 1000 cartes ou plans et 5000 photos.
Plus de deux millions de ces guides ont été vendus mais ne rentabilisent pas l’investissement de l'entreprise Michelin. Pour amortir les coûts de publication, André Michelin décide de publier ses guides avec des publicités de diverses sociétés françaises. Il verse divers dons à l'Œuvre pour la Repopulation du Dr Bertillon. En 1920, les guides Michelin deviennent payants mais les ventes ne connaissent pas le succès espéré.
Albert seen from the interior of the Church,
the day the town was liberated, Photo Imp. War Museum.
Voir le lien :
https://www.bibliotheques-clermontmetropole.eu/overnia//notices