Le pinard pendant la grande guerre
La Baïonnette N°131, dessin de Georges Delaw.
Jusqu’à la première guerre mondiale, le vin ne fait pas parti de l’ordinaire du soldat. La donne change dès le premier mois du conflit. Les viticulteurs du Languedoc offrent, tant par patriotisme que pour écouler leurs stocks, 200 000 hectolitres de vin à l’armée destinés aux soldats partis au front. Ils produisaient à l’époque autour de 22 millions d’hectolitres par an.
Sur l’ensemble du territoire, la production annuelle s’élève à près de 65 millions d’hectolitres contre 42 millions aujourd’hui! Très vite, l’état et l’armée voient le parti qu’ils pourront tirer du vin dans une guerre qui va s’enliser et virer au carnage. Ils l’inscrivent au régime des soldats, et lui assignent des fonctions précises. Le vin va être présenté comme un fortifiant, parfait pour soutenir l’ardeur des poilus aux combats. Ses effets grisants et anesthésiants deviendront vite indispensables pour supporter les horreurs des tranchées : « L’attaque est prévue en fin de matinée il y aura une préparation d’artillerie avant, on commence à distribuer de l’alcool aux hommes dans les tranchées de 1ere ligne, les hommes sont ivres, ils n’attendent pas, montent à l’assaut… c’est un carnage! Devant moi un homme au sol hurle il n’a plus de jambes! » (extrait d’une lettre du soldat Anselme Martin). Le vin devient le Père Pinard, réconfort du soldat, ou le saint Pinard, patron des poilus qui l’invoquent par peur d’en manquer.
Dès octobre 1914, chaque soldat reçoit un quart de vin quotidien. Cette ration vite jugée insuffisante est doublée à partir de janvier 1916. Au début de l’année 1918, elle passe à trois quarts de litres par jour et par soldat. Le pinard des poilus, vin médiocre, est obtenu à partir de l’assemblage de vins à faible degré d’alcool tels que le Maconnais, le Beaujolais et le vin des Charentes, avec des vins du Languedoc, du Maroc, d’Algérie et de Tunisie plus forts. L’objectif est que le vin atteigne les 9° degrés. Il faut que le breuvage « ravigote » le poilu.
Le transport du vin sur le front va requérir une logistique lourde impliquant trains et chevaux. La consommation massive qui va s’ensuivre aura pour contrepartie – nettement moins glorieuse – un alcoolisme élevé dans l’armée. Au sortie de la guerre, la situation est si préoccupante que des campagnes anti-alcoolisme vont voir le jour qui mettent femmes, épouses et mères de famille à contribution pour informer et dissuader les hommes revenus du front.
Extrait du site :
http://milguerres.unblog.fr/le-pinard-de-nos-poilus/
Production vinicole et consomation
A cette production française, il faut ajouter les importations de nos colonies :
En 1900, 20 millions d'hectolitres s'ajoutent à la production française (dont 5 millions de vins d'Algérie).
Soit un total de près de 80 millions d'hectolitres consommés en France.
Aujourd'hui, selon l'Insee: en 2011, les Français ont consommé 31 millions d'hectolitres de vin, ce qui, divisé par la population de 15 ans et plus (soit 53 millions de personnes), donne 59 litres de vin (0,59 hectolitre!) par adulte et par an. En 1961, la consommation était de 59 millions d'hectolitres de vin et la population adulte de 34 millions donc 174 litres par adulte et par an.
Moyenne : 127 litres par habitant par an
Aujourd'hui, selon l'Insee: en 2011, les Français ont consommé 31 millions d'hectolitres de vin, ce qui, divisé par la population de 15 ans et plus (soit 53 millions de personnes), donne 59 litres de vin (0,59 hectolitre !) par adulte et par an. En 1961, la consommation était de 59 millions d'hectolitres de vin et la population adulte de 34 millions donc 174 litres par adulte et par an.
Consommation d'alcool par habitant par an : 19,7 litres
Avant la Grande Guerre, les ouvriers effectuant des travaux manuels buvaient beaucoup, 5 à 6 litres de vin, certes peu acoolisé, 5/6 % par jour.
Lire les premières lignes du journal de marche du 73 RIT de Guingamp :
Le 73e d’infanterie territoriale est d’origine bretonne, il se recrutait parmi les rudes populations des Côtes-du-Nord. Peu d’apparence, ces gars bretons, surtout sous l’uniforme. Corps trapu, sans élégance naturelle ou acquise, âme difficile à pénétrer, défendue encore par la particularité du langage. Parfois aussi, hélas ! une tendance fâcheuse à boire. Mais ce sont des gens d’une résistance extraordinaire, dur à la souffrance, et dès qu’ils se sont donnés, d’un dévouement sans bornes, tenaces comme personne, très sensibles à l’honneur.
12 millions d'hectolitres de vin sont consommés sur le front en 1917
16 millions d'hectolitres de vin sont consommés sur le front en 1918
Il y a différentes variètés de pinard. Les naturalistes signalent le rouquin, le rouquinos, le rouquemoute, le rouget, l'aramon, le pousse-au-crime, le casse-pattes, l'électrique, etc.
(Gaston Esnault, Le Poilu tel qu'il se parle)
- Picolo, piccolo, piccolino : petit vin vin léger à l'origine, puis vin en général.
- Picrate : vin ordinaire sans qualité particulière.
- Pichenet : petit vin aigrelet de Suresnes ou d'Argenteuil.
Code des contenances des artilleurs
- un 75 = un canon
- un 105 = une copine
- un 120 court = un litre de vin pur
- un 120 long = un litre de vin mouillé
Jules Isaac : Une histoire dans la Grande Guerre
5 Septembre 1915
Humour sur le Dieu Pinard
Illustration d'Ernest Gabard
Homblières, novembre 1918. Golancourt Aisne, mars 1917.
Le pinard des poilus de Christophe Lucand
Entendre la conférence de Christophe Lucand :
http://chaireunesco-vinetculture.u-bourgogne.fr/fr/ressources/annales/conferences.html
Le bidon
Voir le lien :
http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/uniforme-equipement.htm
Textes et chansons à boire
"J'ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différence entre nous et les boches."
Apollinaire, "A l'Italie" (1915) in Calligrammes.
Le bon vin, c'est pas d'la vinasse,
Et c'est bien, là où c'que ça passe,
Vas-y bidasse, remplis mon quart !
Viv' le pinard ! viv' le pinard !
Chanson de soldats 1914
Sur la route du retour [au front], avec un camarade,
Pour vaincre l’angoisse, on boit un coup
Un verre de ce vin rouge que nous appelons « Pinard »…
C’est un bon remède contre le cafard !
Sur les chemins de France et de Navarre
Le soldat chante en portant son bazar
Une chanson authentique et bizarre
Dont le refrain est "Vive le pinard !"
{Refrain:}
Un ! deux !
Le pinard c'est de la vinasse
Ça réchauffe là oùsque ça passe
Vas-y, Bidasse, remplis mon quart
Vive le pinard, vive le pinard !
Aimer sa sœur, sa tante, sa marraine
Jusqu'à la mort, aimer son étendard,
Aimer son frère, aimer son capitaine,
Ça n'empêche pas d'adorer le pinard
{au Refrain}
Fier inventeur de la pomme de terre
On a donné ton nom à des esquarres
Mais dis-nous donc alors, que faut-il faire
Pour honorer l'inventeur du pinard ?
{au Refrain}
Jeune marmot, bois le lait de ta mère
C'est ton devoir, mais songe que plus tard
Cette boisson te paraîtra z'amère,
Un vrai poilu ne boit que du pinard
{au Refrain}
Le vieux garçon, on s'éloigne à sa vue,
Le vieux laid'ron, on le met z'au rencard,
La vieille bouteille est toujours bienvenue,
Plus il est vieux, plus on aime le pinard
{au Refrain}
Cèpe des bois, nourriture bien digne
De parfumer le repas d'un Boyard,
Tu ne vaudras jamais le cep de la vigne,
Vu que c'est lui qui donne le pinard.
{au Refrain}
Dans le désert, on dit qu'le dromadaire
N'a jamais soif, mais c'est des racontars,
S'il ne boit pas, c'est qu'il n'a que d'l'eau claire,
Il boirait bien s'il avait du pinard
{au Refrain}
On tue les poux avec l'insecticide,
On tue les puces avecque du coaltar,
On tue les rats avecque des acides
Et le cafard en buvant du pinard
{au Refrain}
On tend l'jarret pour avoir de l'allure,
On tend des pièges pour prendre le renard,
On tend son arc pour avoir la main sûre,
Moi j'tends mon quart pour avoir du pinard
{au Refrain}
Si vous avez compris ma chansonnette
Je vous en prie, ne soyez pas flemmards,
Prouvez-moi-le en chantant z'à tue-tête
Le gai refrain de "Vive le pinard !"
Tous en cœur !
{au Refrain}
Le pinard
En sortant de la tranchée,
Parfois je tremble, j'ai peur
Mais ma gourde caressée
D'un coup me donne du cœur
La nuit, au poste d'écoute
J'ai sommeil, j'ai faim, j'ai froid.
Mais quand je bois une goutte,
Je suis tout gaillard, ma foi.
Refrain
O pinard, ô merveille
Que j'aime écouter tes petits glouglous
Divin jus de la treille
Viens buvons un coup, buvons un coup.
Il est une tâche dure
C'est de porter des rondins ;
Mais jamais le ne murmure,
Je prends les plus gros sapins.
C'est qu'à mon côté j'attache
Mon compagnon, mon bidon ;
Quand un bras est à la tache,
L'autre sonne du clairon
Refrain
O pinard d'espérance !
Vois mes bras noueux et mon cœur serein
Tu donnes la vaillance
A tes amoureux pinard divin
Nulle marche ne fatigue
L'homme qui boit à propos
Pour moi je danse la gigue
Lorsque j'arrive au repos
En hiver, lorsque la glace
Pend à mes poils, en glaçons
Je trouve encore bien la place
Pour le goulot du bidon.
Refrain
Avec sa sœur ! la gnole,
Le pinard dégèle un homme blafard
Mais celui qui le console
C'est toujours le vin, le cher pinard
Quand un brancardier dépose
Un blessé dans le boyau
Il lui fait boire une dose
D'un cordial toujours nouveau
quand le blessé en a marre
le brancardier n'oublie pas
lui de se rincer dare dare
le gosier et l'estomac
Refrain
C'est Noé qu'est le père
De l'apothicaire et du médecin
Les drogues pourquoi faire
Pour vous rétablir buvez du vin.
La bière gonfle la panse
C'est le breuvage d'outre-Rhin
Donnez-nous du vin de France
Le père de l'Esprit sain
S'il coûte trop cher, qu'importe,
Je dis –c'est pas un canard-
Que pour jeter à la porte
Le Boche, il faut du pinard
Refrain
Pinard de la Victoire
Viens je veux baiser tes petits glouglous
Aux beaux jours de la gloire,
Nous boirons un coup, encore un coup.
Le Pinard
Et toi, Pinard ? Qui donc es-tu ?
Quel soleil a mûri ta vigne ?
Toi qui vins avec nous en ligne,
Toi qui, comme nous, t'es battu ?
Mais ton anonymat s'est tu…
A ta chaleur en vain, j'assigne
Un coteau vert que je désigne,
Pinard, qu'importe à ta vertu ?
Viens-tu d'Auvergne, d'Algérie,
Viens-tu de l'Hérault, de la Brie,
D'Ouest ? Du Sud ? De l'Est ? Du Nord ?
Je ne sais… Mais joyeux à boire,
Emplissant nos quarts jusqu'au bord,
Tu nous as donné la Victoire…
Henri Margot, "Le Pinard",
Ode au pinard
Salut, Pinard, vrai sang d'la Terre :
Tu réchauff' et tu rafraîchis,
Grand Élixir du militaire !
Plus ça va, et plus j'réfléchis
Qu'si tu n'existait pas, en somme,
Il aurait fallu t'inventer :
"Ya pus d'pinard, ya pus d'bonhommes !"
C'est l'nouveau cri d'l'humanité...
T'es à la fois plaisir et r'mède,
Et quand t'es là, on s'sent veinard ;
Tu nous consol' et tu nous aides :
Salut, Pinard !
Salut ! Pinard de l'intendance,
Qu'as d'trop peu ou goût de rien,
sauf les jours où t'aurais tendance
A puer l'phénol ou bien l'purin.
Y'a même des fois qu'tu sens l'pétrole,
T'es trouble, t'es louche et t'es vaseux,
Tu vaux pas mieux qu'ta sœur la gnole.
C'est sûr comme un et un font deux,
Qu'les riz-pain-sel y vous mélangent
Avec l'eau d'une mare à canards ;
Mais qu'y fair', la soif vous démange
Salut, Pinard !
Salut, Pinard de contrebande
Qu'ein gâs mariolle et dégourdi,
Ben qu'd'ici la distanc' séy' grande
Vient d'rapporter d'chez l'mercanti :
T'as tell'ment battu la campagne
Et barratté dans les bidons,
Qu'ça t'rend mousseux comm'du champagne...
Comm'ça, ceuss là qu'ont d'l'illusion
Pourront s'figurer qu'îs gueul'tonnent
Avec des truff' et du homard...
(Quand on rêv', pus rin n'vous étonne)...
Salut, Pinard !
Salut ! Pinard, pur jus des treilles,
Dont un permissionnair' parfois
Nous rapporte une ou deux bouteilles
C'est tout l'pays qui vit en toi.
Dès qu'on a bu les premièr' gouttes.
Chacun r'trouve en soi son pat'lin,
La p'tit maison et la grand'route,
La douc' promise en coiffe de lin.
L'un revoit les p'tits, l'aut' la vieille mère
Qui tremblait le jour du départ
Et l'on s'sent chaud sous les paupières.
Salut, Pinard !
Salut, Pinard de la Victoire
Qu'on nous promet d'puis si longtemps !
Quand ça s'ra-t-il qu'on pourra t'boire ?
Ah, jour de Dieu, c'qu'on s'rait contents !
Il faudra bien qu'ell' s'accomplisse
La grand' Revanch' de la Justice :
L'jour où l'on clouera Guillaum'Deux
Avec Joseph, dans la meim' bière,
Les alliés boéront à pleins quarts
Ni eau, ni thé, ni cidr', ni bière :
Ren qu'du Pinard !
Marc Leclerc (Septembre 1916), soldat du 71e RIT
Le vin dans la presse
La Baïonnette N°74 :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6580975f.item
N°166, Aux vendanges .... La chanson du pinard.
La Baïonnette N°34, 24 Février 1916
Les liens :
https://fr.wikipedia.org/Révolte des vignerons de 1907
http://milguerres.unblog.fr/le-pinard-de-nos-poilus/
http://hmcel.forumactif.com/t194-l-origine-du-mot-pinard
http://www.forum-auto.com/les-clubs/discussions-salon/sujet3567-525.htm
http://montceau-news.com/culture/236066-musee-de-la-maison-decole-de-montceau-les-mines-14.html
http://www.fncv.com/biblio/musiques/chants_14-18/le-pinard/images/le-pinard-chanson-1914-1918.mp3
Le vin est bon pour la santé !
Si la consommation rationnelle du vin était dangereuse, il faudrait détruire nos beaux et riches vignobles et creuser à leur place des puits, de manière à fournir l'eau devant remplacer le vin dans l'alimentation. Nous n'en sommes heureusement pas encore là.
Et puis, les médecins les plus autorisés, les plus célèbres, n'ordonnent-ils pas le vin, le vin naturel, et la bière aux malades affaiblis par le travail ?
Eh bien, si le vin, avec une proportion d'alcool de 10 p. c., ne présente aucun danger et constitue pour ainsi dire un médicament recherché, précieux, comment admettre que la bière, dont la teneur en alcool n'est que de 3 p. c., soit nuisible à la santé ?
Le professeur Mathews écrit ce qui suit dans son ouvrage célèbre sur la question: L'alcool, tel que nous le trouvons dans le vin et dans la bière, constitue un véritable aliment et doit être recommandé aux estomacs paresseux. A ma connaissance, un grand nombre de malades ont recouvré la santé en faisant un usage raisonnable de ces boissons.
Comme on boit depuis longtemps du vin et de la bière et que nos anciens ne regimbaient même pas devant un petit verre de bonne eau-de-vie qu'ils prenaient volontiers après le repas, sans que cela ait empêché le moins du monde la terre de tourner autour de son axe, les rivières à suivre leurs cours et nos pères de vivre aussi longtemps, peut-être plus longtemps que nous, nous ne sommes pas, heureusement pour nous, autrement tourmentés des cris lugubres de nos féroces anti-alcoolistes.
Tous les excès sont mauvais, cependant ceux du thé ou du café sont plus dangereux pour la santé que le sont ceux de la bière, même que ceux du vin.
Extrait de :
http://gallica.bnf.fr/propriétés de la biere gaesslier noirot
Voir l'article sur l'alcool pendant la Grande Guerre :
http://87dit.canalblog.com/archives/2016/03/10/33493682.html