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Grande Guerre : territoriaux bretons et normands du 87 DIT
Grande Guerre : territoriaux bretons et normands du 87 DIT
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2 juillet 2023

Regard archéologique sur les villages détruits

Mots-clés :

Ornes, Meuse, destructions, Lorraine, Verdun, archéologie, 

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Les visiteurs qui s’aventurent sur les chemins de la mémoire de la Meuse s’étonnent de découvrir des villages entièrement détruits durant la bataille de Verdun, et jamais reconstruits.  

Le territoire de la Lorraine occupe une position particulièrement stratégique au cours des guerres mondiales. On y compte plusieurs batailles, la plus célèbre et la plus meurtrière étant celle de Verdun, en 1916. De cette partie de l’histoire on relate souvent les faits militaires et rarement le sort des populations civiles. C’est le cas particulier des treize villages détruits en Lorraine au cours de la Grande Guerre.

Totalement dévastés, six d’entre eux ne seront jamais reconstruits. Ils jouissent pourtant d’un droit légal d’existence reconnu par l’État, fait historique d’exception souvent méconnu des milliers de visiteurs qui se rendent chaque année sur le champ de bataille.

Administrativement, cela se traduit par la nomination par le préfet d’un maire, chargé d’entretenir le lieu et de conserver les registres d’état civil. Sur le terrain, une plaque, une chapelle commémorative, sont les seules marques qui signalent les anciennes habitations dont les ruines sont recouvertes par la végétation. 

LES VILLAGES DISPARUS, UN PAYSAGE CICATRISÉ

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 Ornes, village "Mort pour la France", avant sa destruction, 1916.

© Archives du Mémorial de Verdun

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 Ornes, pris le 24 février 1916 et libéré en état de ruines en août 1917,

totalement détruit par le déluge de l’artillerie, 9 juillet 1916.
© Archives historiques de la Défense 

La Première Guerre mondiale est un facteur déterminant dans l’évolution du paysage meusien. Cet épisode violent que l’on peut rattacher à l’ère de "l’anthropocène" a modifié en profondeur et de manière irréversible l’environnement et la biogéographie de la zone de front. Pour la première fois dans l’histoire des sociétés, la mutation et la fossilisation d’un paysage se sont opérées en l’espace d’un demi-siècle à peine. D’une ruralité ancestrale avec ses villages, ses champs et bois communaux, on assiste, dès le début des hostilités, à l’apocalypse d’une terre dévastée, mutilée, crevassée.

Quelques années plus tard, au terme du conflit, ce paysage, fortement dégradé par l’activité militaire, est reconquis par une végétation spontanée qui fixera les premiers "polémoformes" du champ de bataille. Vers 1920, la plantation en masse de résineux sur les anciennes terres agricoles et sur les villages détruits signe la fin de l’openfield.

Aujourd’hui, dernier stade d’évolution, le paysage cicatrisé est modelé par les gestionnaires de la forêt et les aménagements touristiques. Les vestiges archéologiques, habituellement enfouis sous terre, le sont cette fois mais sous un couvert végétal qui masque leur lisibilité.

LA FORÊT, CONSERVATOIRE DES VILLAGES DÉTRUITS

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La forêt conservatoire des villages disparus, 2016. © D. Jacquemot

Comme la prairie, la forêt joue un rôle protecteur particulièrement efficace contre l’érosion des sols. Elle permet la conservation de certaines constructions en terre et fossilise les vestiges en élévation. Depuis peu, il s’avère que les forêts plantées après-guerre sont également des réserves patrimoniales uniques.

Ces forêts, vieilles d’à peine cent ans, abritent toute la diversité des traces de l’occupation militaire mais également celles des civils : fermes et villages martyrs. À l’exemple du champ de bataille de Verdun qui compte 10 000 hectares de terrains bouleversés dont neuf villages détruits par les bombardements.

LA RÉSERVE ARCHÉOLOGIQUE DES VILLAGES "MORTS POUR LA FRANCE"

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Ornes était un vrai bourg, plus grand que les autres villages détruits, mais qui, en fin de compte, après la Grande Guerre, se retrouve au même point qu’eux, ou presque, sous leurs pierres.

A la moitié du 19ème siècle, il comporte 1367 habitants, puis retombe à 750 habitants en 1914, principalement à cause de l’exode rural qui alimente en main d’œuvre les grands centres industriels en pleine croissance à la fin du 19ème siècle. Pourtant, ce bourg dispose d’un tissu industriel textile et de transformation bien adapté aux productions agricoles locales et venant de la plaine de la Woëvre voisine.
Mais sa situation géographique, proche de la frontière avec la Moselle annexée, puis du front stabilisé après la Bataille de la Marne, ne le favorise pas, car il se retrouverait très rapidement en première ligne en cas d’offensive ennemie.

Il est donc demandé à la population d’évacuer le village dès le 25 août 1914. Mais tous ne partent pas, à leur risque et péril, car les bombardements et les patrouilles allemandes faisant des incursions dans le village s’intensifient. En septembre 1914, deux enfants sont tués par des éclats d’obus. En octobre 1914 une partie des villageois sur le départ sont capturés et faits prisonniers par les Allemands…

En 1915 et jusque février 1916, les troupes françaises tiennent le village où sont positionnées des unités, en 2ème ligne face au front, lors du déclenchement de la grande offensive allemande.
Mais du 21 au 24 février, la poussée allemande est si forte que le village d’Ornes est pris par leurs fantassins le 24 février 1916, après de violents bombardements mettant à bas l’ensemble des habitations et bâtisses du village.
Il n’est repris par nos poilus que le 23 août 1917.

Classé en « zone rouge » à la fin de la guerre, il ne peut plus jamais être reconstruit. Son statut de village détruit autorise néanmoins l’édification d’un monument aux morts dans l’ancien cimetière et de la chapelle-abri Saint-Michel qui est inaugurée le 14 août 1932.

Enfin, les émouvants vestiges de son église, encore debout, témoignent à la fois de l’existence d’une vie passée prospère et de l’âpreté des combats qui se déroulés sur ce sol ravagé…

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Ornes, vestiges de l’église :

une valeur symbolique des "sacrifiés pour Verdun", 2018. © D. Jacquemot

Durant les années 1990, la réflexion d’une "archéologie du passé récent" s’est ouverte aux domaines variés de l’architecture, du patrimoine industriel et militaire. Ainsi, il est montré que, culturellement, les lieux qui ont été le théâtre d’événements exceptionnels ou tragiques doivent en garder la mémoire, à l’image du sol lunaire du champ de bataille de Verdun que vient de livrer LIDAR. Sur ce sol mythique, il est possible aujourd’hui de caractériser des moments historiques et dramatiques.

À l’image de Fleury où, en l’espace de deux mois, ce village "mort pour la France" a été pris et repris seize fois par les belligérants. Le témoignage de ce passé "incommunicable" trouve sa traduction dans la densité des traces qui "disent" l’histoire. Aussi, à l’inverse des musées qui sacralisent le passé à travers quelques objets, la simple préservation in situ des vestiges et du mobilier permet de lire l’espace et donne un sens à la mémoire.

Stéphanie Jacquemot, archéologue à la DRAC Grand Est

Voir les liens :

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/paysages-en-guerre-paysages-de-guerre

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/regard-archeologique-sur-les-villages-detruits

https://www.pierreswesternfront.nl/verdun-destroyed-villages-bezonvaux-ornes 

https://www.cirkwi.com/fr/point-interet/352966-ornes-village-detruit 

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